Argumentaire

Controverses sur les savoirs, savoirs controversés en contexte de changement climatique

Journé d'études à la Bordeaux School of Economics (BSE), Université de Bordeaux

13 décembre 2024

Le débat, le doute et la discussion sont des éléments nécessaires du processus de production du savoir scientifique. Afin d'élaborer une compréhension empirique d'un phénomène, les scientifiques ayant des explications concurrentes s'affrontent dans le cadre de forums formels et informels, tels que l'évaluation par les pairs ou les conférences, dans lesquels les paramètres explicites et convenus du débat contribuent à garantir la clarté et à réduire les préjugés. Le processus est continu et évolutif, car des groupes de chercheurs s'investissent dans ces débats en apportant leurs propres points de vue, ce qui conduit à de nouvelles divisions à mesure que certaines questions trouvent des réponses et que d'autres sont posées. Ces débats se déroulent face à un tiers arbitre qui est le public de pairs dans le forum scientifique. En bref, la controverse, définie comme un désaccord profond sur des informations et des idées, est inhérente à la science. Mais la controverse n'est pas seulement scientifique. En effet, des discussions animées entre des groupes de personnes ayant des positions concurrentes et parfois irréconciliables ont lieu dans les parlements, les tribunaux, sur Internet et dans la rue. Le changement climatique et les nombreuses questions qui y sont liées, notamment dans le domaine de l'énergie, de la biodiversité, de l'agriculture et de l'urbanisme, constituent une grille de lecture particulièrement utile pour réfléchir à ces multiples dimensions de la controverse.

Il peut être compliqué de faire la différence entre les controverses scientifiques, d'une part, et les controverses politiques ou sociales, d'autre part, et de nombreux auteurs invitent à dépasser la dichotomie Nature-Culture. D'une part, les personnes engagées dans l'arène politique, y compris les élus, les militants et les think tanks, utilisent souvent des informations scientifiques - sur les causes et les effets du changement climatique, par exemple - pour justifier leurs positions. Ce faisant, ils peuvent déployer, et le font souvent, des affirmations sur la certitude ou le doute scientifique comme moyen d'inciter les décideurs politiques à agir. Lorsque des groupes favorables ou opposés à des politiques environnementales particulières affirment que l'expertise scientifique soutient leurs demandes, ils déploient la rhétorique de la controverse scientifique à des fins politiques. En brouillant encore plus les frontières, les scientifiques sont des citoyens qui ont leurs propres valeurs et engagements et qui participent parfois directement au processus politique. Ce faisant, ils ont le choix de faire une distinction claire - ou non - entre ces deux rôles. Que ce soit lorsqu'ils témoignent devant les législateurs sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou qu'ils répondent aux questions des journalistes sur les écosystèmes, ou encore lorsqu'ils protestent contre la construction d'une autoroute ou qu'ils rédigent une note politique au nom de l'industrie de l'énergie, leur double statut est toujours en jeu. De ce fait, ils peuvent eux aussi contribuer, parfois même intentionnellement, à obscurcir la distinction entre les controverses scientifiques et politiques dans l'esprit du public. En outre, les institutions dans lesquelles les scientifiques travaillent et forment la prochaine génération de chercheurs, telles que les universités et les centres de recherche, font elles-mêmes partie de l’espace politique. Elles dépendent d'un financement pour fonctionner, sont confrontées à des questions de gouvernance et à la dynamique du pouvoir qu'elles impliquent, et sont elles-mêmes l'objet de controverses politiques.

Malgré ces frontières floues, la science se distingue des autres types de savoir et joue un rôle spécifique dans la vie publique. Si la production de connaissances est une pratique éminemment politique qu’il convient de situer socialement, géographiquement et historiquement, elle contribue à la démocratie moderne en fournissant une base d’information objectivée commune qui est dissociée des valeurs politiques. Ce positionnement des sciences n’est possible que si certaines normes spécifiques s’appliquent à la Science, la construisant comme un espace social particulier et autonome, telles l’ethos scientifique de Merton : universalisme, scepticisme organisé, désintéressement, communalisme. En tant que tels, les scientifiques sont donc dans une position unique pour influencer la façon dont nous percevons le monde et la manière dont nous répondons collectivement aux grands défis grâce à l'autonomie réelle ou perçue du champ scientifique vis-à-vis du champ politique. Pourtant une partie de leur autorité et de leur légitimité est de plus en plus remise en question. D’une part, la reconnaissance de savoirs profanes et alternatifs (par exemple en matière de justice environnementale) a conduit à brouiller les frontières sur les méthodes et moyens d’accès aux connaissances, conduisant dans des cas extrêmes à mettre les sciences sur un plan d’équivalence avec n’importe quelle autre croyance (on pense ici notamment à la post-vérité). D’autre part, certains acteurs, notamment industriels, développent des stratégies de production d’incertitude et d’ignorance afin de maintenir des activités nocives mais profitables. Les controverses sont donc multiformes et à l’interface entre savoirs scientifiques et choix politiques. Toutefois, il nous semble que la capacité des scientifiques à occuper une place centrale dans les controverses est aujourd’hui largement remise en cause. Non seulement les savoirs scientifiques sont contestés par des acteurs économiques qui cherchent à protéger leur rente, mais ils sont questionnés jusqu’au plus haut sommet de l’Etat par des décideurs politiques qui optent pour un déni climatique au gré des échéances électorales et des mouvements sociaux. Non seulement les connaissances produites sont déterminées par des stratégies industrielles et des politiques de recherche, mais l’indépendance même des chercheurs est fragilisée par la multiplication des procédures baillons, la fragilité des financements et la précarité des postes.

Cette journée d'études vise à explorer la signification et les implications des controverses autour des savoirs scientifiques sur le changement climatique et d'autres questions environnementales et sociales qui y sont liées. Nous encourageons les propositions de chercheurs à tous les stades de leur carrière académique et dans toutes les disciplines, y compris les chercheurs en sciences physiques ou naturelles qui peuvent eux-mêmes avoir fait l'expérience des aspects potentiellement controversés de leur travail. Les questions potentielles à traiter pourraient inclure, sans s'y limiter, aux points suivants : Comment les controverses scientifiques sur ces sujets deviennent-elles politisées ? Comment les logiques politiques influencent-elles le processus scientifique ou constituent-elles une menace pour l'indépendance académique ? Comment les scientifiques travaillant sur des questions liées à l'environnement négocient-ils leur double position de chercheurs et de citoyens ? Comment les organisations, qu'elles soient scientifiques et professionnelles (GIEC, World Meterological Association, etc.) ou plus politiques, telles que les think tanks, les organisations militantes et les groupes de défense des intérêts de l'industrie, façonnent-elles ces dynamiques ? Que se passe-t-il lorsque des forces cherchent à déstabiliser les fondements du débat scientifique, rendant difficile pour le public de discerner la différence entre les désaccords scientifiques ordinaires et les controverses politiques destinées à saper l'accord commun sur les faits fondamentaux ?

 

Contact: michael.stambolis (a) univ-tlse2.fr

Comité d'organisation

  • Cédric Brun (Université Bordeaux Montaigne, SPH)
  • Caitriona Carter (INRAE, ETTIS)
  • Sébastien Chailleux (Sciences Po Bordeaux, CED)
  • Sylvie Ferrari (Bordeaux School Of Economics, Université De Bordeaux, BSE)
  • Alice Mazeaud (Université de La Rochelle)
  • Andy Smith (Sciences Po Bordeaux, CED)
  • Michael Stambolis-Ruhstorfer (Université Toulouse Jean Jaurès, CAS)

Partenaires

 

  • Région Nouvelle Aquitaine
  • Institut Universitaire de France
  • Centre Émile Durkheim
  • Centre for Anglophone Studies
  • Futurs ACT
  • TESNA
  • Chaire TRENT
  • Université Toulouse Jean Jaurès
  • Université Bordeaux Montaigne

 

Projet InterClim

Cette journée d’études s’intègre dans le projet de recherche InterClim mené par Michael Stambolis-Ruhstorfer autour de la question de l’interaction entre scientifiques et monde politique sur les enjeux de changement climatique. Informations sur le projet InterClim.

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